10.7.11

CAHIERS (2)

Pour revenir aux Cahiers du cinéma, sur lesquels il y aurait beaucoup de choses à dire d'un point de vue historico-épistémologique, notamment sur les différentes bifurcations prises par la revue au fil du temps (je n'ai ni le recul ni une connaissance suffisante), je dirais que je suis partagé. Sans doute parce que rien n'est univoque. A l'époque où j'y ai écrit, les gens se regardaient en chiens de faïence. Du moins il y avait une rivalité larvée entre les différents critques, entre les différentes générations qui s'y côtoyaient. Pour ma part, je n'ai jamais eu d'ami au Cahiers. Celui dont j'ai été le plus proche, avec lequel j'ai eu quelques points communs, fut Thierry Jousse. Les autres, ce fut toujours limite. Toubiana, le grand manitou à l'époque où j'y écrivais, était assez changeant, ambivalent. Il m'a certes accueilli avec générosité, avec une certaine chaleur méditerranéenne, malgré mon inadaptation au contexte. C'est lui qui m'a poussé à devenir critique. Drôle d'idée. D'un autre côté, nous ne nous sommes jamais fréquentés en dehors des Cahiers. Il y avait toujours une barrière invisible. Comme si on n'était pas du même monde, voire du même milieu. Je ne parlerai pas de lutte des classes, mais presque. Pour donner une idée de son ambivalence : il m'a viré des Cahiers une première fois parce qu'à un moment j'ai commencé à écrire dans une publication concurrente, Cinématographe (en fait il m'a mis en demeure de choisir entre les deux, mais ça revient au même). Ça n'a pas empêché, plus tard, d'autres d'écrire simultanément dans les Cahiers et Première, par exemple (si !). J'ai toujours vécu de mes piges. Ce n'était pas de gaîté de cœur que j'écrivais dans deux revues de cinéma à la fois. Bref. Toubiana m'a fait revenir aux Cahiers. Puis, quelques années après, il m'a encore viré par personne interposée (enfin retiré du comité de rédaction, ce qui était une forme d'ostracisme). Et comme je n'arrivais plus à écrire aux Cahiers de toute façon, je n'ai pas insisté. Les autres, c'était presque pire. Une certaine connivence avec Delphine Pineau, la secrétaire de rédaction qui a succédé à Claudine Paquot, mais sans plus. Une certaine familiarité avec Catherine Frochen, la phototécaire. J'ai toujours bien aimé Paul-Raymond Cohen, qui fut longtemps maquettiste de la revue. Quant aux rédacteurs, franchement pas amicaux dans l'ensemble. Seules exceptions : Serge Daney, que j'ai très peu connu (il était déjà parti à Libé), et Thierry Jousse, qui est devenu rédacteur en chef quand Toubiana a décidé "de prendre de la hauteur" et de devenir directeur de la publication. Seul Thierry Jousse m'a vraiment fait confiance. C'est lui qui m'a intégré au comité de rédaction. J'ai fait des interviews avec lui, ce qui ne m'était quasiment jamais arrivé avec d'autres rédacteurs. Il y a certes quelques exceptions. Pour vous dire l'ingratitude des Cahiers, ou plutôt leur dédain absolu, ils n'ont pas daigné me convier aux festivités du 50e anniversaire des Cahiers. J'ai écrit tout de même pendant quinze ans dans cette gazette… Les seuls contacts que j'ai eus avec la revue après 1998 se sont résumés à leurs demandes de cession des droits d'auteur de mes articles dans les Cahiers — lorsqu'ils ont mis en ligne leurs anciens numéros. Ceci pour un forfait dérisoire (de l'ordre de 100 euros en tout et pour tout). J'ai refusé. J'espère qu'ils ne sont pas passés outre depuis. Ensuite, j'ai touché par ci par là quelques droits d'auteur (minimes) pour la publication d'un ou deux articles dans un ouvrage (ou pour l'achat d'une interview de Kenneth Anger publiée dans les Inrocks, dont ils ont repris des bouts dans un livre d'Olivier Assayas sur le cinéaste). Cela dit, je ne crache pas dans la soupe. Je reconnais que les Cahiers ont accueilli ma plume (ils n'étaient pas obligés), que les gens ont été relativement tolérants. Mais je n'ai jamais ressenti une vraie camaraderie. Evidemment j'ai connu bien pire après (et encore maintenant) dans un contexte où l'indifférence totale est aggravée par le progrès (Internet, la plaie). Après, il faudrait s'intéresser au contenu, à la "ligne des Cahiers", comme ils disaient, à leurs excès mal venus, à leur rigorisme excessif, à leur complaisance. A l'époque à laquelle j'y ai écrit, ça se résumait à une méfiance absolue pour l'image. D'ailleurs le mot image était tabou à l'époque. On ne parlait que de plan. Ce puritanisme allait de pair avec une fascination littéraire pour le psychologisme le plus pâteux et pataud (celui qu'on trouvait chez Doillon, Téchiné et même Pialat), qui fut une sorte de voie de garage pour le cinéma français. Mais c'est une (trop) longue histoire. A suivre (peut-être).

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