3.7.11

PUBLIC/GOTHIC

J'ai une théorie, que j'ai peut-être exposée dans mon ancien blog, qui est liée à mon esprit empirique et intuitif : le public d'un film est représentatif de ce film. Autrement dit : si vous voulez savoir à quoi ressemble un film et/ou s'il va vous plaire, regardez la salle. C'est une théorie très aléatoire, parfois trompeuse, mais qui marche. Bref, moi qui vois pas mal de films, je perçois avant la projection des signes avant-coureurs sur ce film. La plupart du temps, je ne sens rien et je ne fais pas attention. Mais parfois, je suis assez surpris de la justesse de mon impression. Il y a d'autres signes qui peuvent vous dire des choses sur un film dont vous ne savez rien. Par exemple, le fait qu'un film d'auteur européen bénéficiant d'un assez gros budget, ayant des acteurs connus dans sa distribution, n'ait été précédé d'aucune rumeur et/ou ne soit passé dans aucun festival majeur. Exemple : Le Moine de Dominik Moll — un habitué de Cannes, qui avait fait un fort effet en 2000 avec Harry, un ami qui vous veut du bien. Le Moine, avec Vincent Cassel dans le rôle titre, n'a été présenté dans aucun festival. Cette adaptation du roman de Matthew Lewis tombe pile avec mon intérêt du moment pour la littérature gothique. Cette fois je n'ai rien remarqué de spécial dans la salle. "Rien de spécial", c'était peut-être aussi un signe. J'ajoute que je n'ai pas lu Le Moine, le roman le plus célèbre du genre. En ce moment je lis Basil de Wilkie Collins, qui n'appartient pas vraiment au roman gothique. Mais son auteur si. D'ailleurs, Dominik Moll dit qu'il a hésité entre Basil et Le Moine. Comme je n'ai pas lu Le Moine, je ne peux pas juger la pertinence de l'adaptation, mais le film n'en donne pas très envie : trop chargé. D'ailleurs je ne dirai rien de spécial sur le film, car je n'en pense pas grand chose. Je n'ai pas d'idée particulière sur ce film, ce qui est aussi un signe. Un signe qu'il est complètement à côté de la plaque. Je ne sais pas, c'est bizarre tout ça : un film français avec des acteurs français et espagnols, tourné et situé en Espagne, tiré d'un roman anglais, réalisé par un cinéaste américano-allemand (enfin il vit en France). Il y a quelque chose qui ne colle pas. Moi il m'a surtout donné envie de dormir, malgré son insistance à faire frémir, ou à vouloir remuer quelque chose chez le spectateur. En témoignent la musique (violente), les éclairages, les grincements de porte, etc. Pourtant ça ne fonctionne pas. J'ai cru entendre des ricanements dans la salle, preuve que je n'étais pas le seul à être dubitatif. Je lui prédis un beau flop. Mais là n'est pas le problème. Cette adaptation maladroite du roman phare de la littérature gothique risque de ne pas aider ceux qui voudraient en adapter un autre. Enfin, je ne suis pas sûr que ça soit si grave. Pour revenir à cette idée du public qui reflète le film qu'il va voir, j'ai toujours gardé en mémoire cette réflexion de Louis Skorecki dans une interview, qui prétendait que s'il y avait des mauvais films c'était d'abord à cause du public. Ça semble bizarre, pourtant j'ai tendance à être persuadé qu'il a raison. Il y a une quinzaine-vingtaine d'années j'avais écrit un film fantastique, que je n'ai jamais réussi à faire produire. A l'époque je me disais que c'était impossible que le public de cinéma qui allait voir les films qui sortaient (je ne sais pas, Pialat-Spielberg-Scorsese-Doillon) puisse aussi voir ce film que je voulais réaliser. Ce qui pose la question du rapport du réalisateur (et plus largement de l'artiste) au public. Comment peut-on réaliser un film destiné à des gens qui aiment des choses qu'on déteste soi-même ? On peut prolonger cette idée en disant que toute œuvre d'art repose plus ou moins sur un malentendu. Il y a quelque temps, je faisais la réflexion que si un tableau de Vermeer de Delft était détourné pour la publicité d'une marque de yaourts, c'était qu'il y avait quelque chose de pourri chez ce peintre. Idem pour Renoir ou Monet, dont les reproductions de tableaux ornaient des boîtes de gâteaux. L'art devrait être irréductible au commerce, ou du moins à sa récupération mercantile et dévoyée dans la décoration industrielle. On peut toujours rêver…

2 commentaires:

  1. "Il y a quelque temps, je faisais la réflexion que si un tableau de Vermeer de Delft était détourné pour la publicité d'une marque de yaourts, c'était qu'il y avait quelque chose de pourri chez ce peintre. Idem pour Renoir ou Monet, dont les reproductions de tableaux ornaient des boîtes de gâteaux"
    C'est bien entendu complètement idiot... On pourrait dire la même chose d'Homère...
    Parce que le plus fort c'est que justement quand on se retrouve devant un Veermer, ou un Boucher, ou un Fragonard (il suffit pour cela d'aller faire un tour au Louvre, mais les cinéastes et les critiques ne fréquentent plus trop le Louvre), on se retrouve donc devant des œuvres qui résistent au détournement publicitaire !

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  2. Bien sûr ça a l'air "complètement idiot" ce que je dis. J'aime bien jouer au naïf souvent. Mais c'est évident qu'il y a un fond de vérité. Certains peintres ne seront jamais détournés parce qu'ils sont trop forts et pas assez synthétiques. Malgré le respect que j'ai pour Mondrian, pour sa vie monacale et pauvre, et pareil pour Edvard Munch, ces deux peintres ont tellement été caricaturés par la mode, l'industrie et le cinéma, que je ne peux plus les voir "en peinture". En revanche, des peintres plus torturés comme Le Caravage, Goya ou Francis Bacon ont beaucoup moins été détournés par le commerce (même s'il y a eu des biopics de chacun d'entre eux). Vermeer, Boucher et Fragonard ont quelque chose de lisse et de joli, qui incite à les reproduire à tort et à travers. Je reconnais naturellement que tous ces peintres ont du talent, même s'ils me touchent moins. Quant à Homère, désolé, en dehors de quelques adaptations de L'Odyssée (je ne sais pas s'il y en a eu de L'Iliade), il n'a guère été copié. Evidemment, il a inventé un type de récit, que tout le monde a repris ensuite. Mais ce n'est pas la même chose. Comme si on disait que le clair-obscur de Rembrandt avait été plagié et détourné… D'ailleurs Rembrandt est un autre grand peintre qui n'a pas beaucoup eu de succès avec le business et l'industrie. Trop sombre ?

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