21.9.11

CUILLER DE MIEL

C'est sûr, le cinéma français est toujours aussi mauvais. C'est sûr, il fait toujours illusion par sa force à traduire de manière assez précise la banalité et la futilité de sa bourgeoisie. C'est avant tout un cinéma de qualité (c'est sûr, je généralise). Cette qualité n'est pas due aux réalisateurs eux-mêmes, enfin pas seulement, mais à tout un corps de métier accroché à ses prérogatives et ses traditions comme l'était jadis la noblesse française. Chaque professionnel de la profession, cossu et bien nourri, entend montrer son savoir faire avec une fierté d'artisan. C'est bien là le problème. Personne n'accepte jamais de lâcher du lest. Ce qui nous donne des films pleins comme des œufs, moulés à la louche et ventripotents. Le style Louis-Philippe. A part ça, ce sont des baudruches, des borborygmes. Tiens, la meilleure métaphore de ce monde c'est Skylab, la comédie de Juliette Delpy, qui décrit avec une sorte de plaisir gourmand et rigolard la vulgarité à tous les étages d'une famille franchouillarde réunie pour une partie de campagne dans les années 1970. Mais ce qui m'a fait tilter ce n'est pas ça. C'est la petite cuiller de miel (de châtaigne) dans le café du chef de cabinet (Michel Blanc) du ministre des Transports, dans L'exercice de l'Etat de Pierre Schœller. Je concède au réalisateur une magistrale scène d'accident, remarquablement gérée et montée. Là je m'incline. Le reste c'est de la qualité au kilomètre avec des petites cuillers de miel dans tous les coins. C'est à dire des petits détails qui font vrai. Ce sont précisément ces petits détails qui font vrai qui foutent tout en l'air, car ils révèlent une incroyable petitesse d'esprit. Ces petits détails qui font vrai ne font pas vrai, ils font laborieux, gagne-petit, artisan, menuise-menuise. Dans le fond, je ne suis pas contre le cinéma d'artisan, quand c'est l'œuvre d'un seul artisan. Mais quand c'est toute une armée de corps de métier qui vient ajouter ses touches soignées à une pièce montée, c'est l'esprit Versailles : morgue m'as-tu-vu et haine pour le réel. L'esprit étriqué et mesquin du jardin à la française. Schœller a justement réalisé un film intitulé Versailles — que je n'ai pas vu en entier, car cette vision tellement fabriquée de la zone (les SDF) dans les bois m'insupportait au plus haut point. Réalisme poétique etc. Avec L'exercice de l'Etat ce n'est pas le même problème, mais ça ne change rien. La presse va s'extasier, parler de fable grandiose et cinglante sur le monde politique, de "comédie du pouvoir" et que sais-je encore. Olivier Gourmet (acteur principal) va prendre son César en faisant des génuflexions devant Antoine Déconne. Pour moi, c'est précisément le genre de films qui font que l'autosatisfaction à la française se perpétue à l'infini, tant par ce qu'on décrit qu'à cause de la manière dont on le décrit. Honnêtement, même les très mauvais Anglais font mieux. Après c'est sûr que la France est un pays confortable. Le plus confortable peut-être, avec l'Italie (qui a certes beaucoup baissé). Mais jusqu'à quand ?
P.S. Tout est relatif. Je viens de voir Les marches du pouvoir, vision lyophilisée des coulisses d'une campagne électorale américaine selon George Clooney, piètre cinéaste. C'est bien pire dans le registre politique que le Schœller (quoi qu'il y ait des similitudes). Mais ce n'est pas une raison…

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