15.4.11

ALORS OUI, LE DOCUMENTAIRE…

C'est bien cela. J'ai bien constaté encore le même travers à Nyon (au festival Visions du Réel), qui est un des grands problèmes du documentaire actuel, à mon sens : le glissement systématique de cette catégorie cinématographique vers le reportage style journal télévisé, ou pire, le magazine de société, de préférence dramatique ou misérabiliste. Autrefois, les dames patronnesses avaient leurs pauvres, leur donnaient quelques sous, des vieux vêtements, avant de regagner leurs logis cossus. Avec le documentaire il se passe un peu la même chose. On va témoigner, voire militer (alors qu'on n'est pas politiquement actif) par le biais du cinéma, en filmant par exemple des sans-papiers reconduits manu militari à la frontière, et puis on rentre chez soi, pénard, avec ses bobines, et on en fait un beau film montré dans les festivals. Applaudissements. D'autres fois on va filmer les victimes du sida en Afrique, les femmes maltraitées ailleurs, etc. On filme ces misérables, mais parfois on ne lève pas le petit doigt pour eux. On préfère les filmer. C'est un cinéma de la commisération, que certains appellent documentaire, mais que j'appellerais document à thèse ou bien thèse illustrée. Combien de films à Nyon sur des malades du cancer en phase terminale. J'appelle ça une forme de complaisance, ou bien des clichés politiquement corrects. Le documentaire ne peut pas être le réceptacle ou le miroir de la misère du monde. Elle peut être un de ses objets, mais pas son objet central. Ce qui manque dans ce cinéma c'est un regard particulier, un travail sur la durée, la contemplation, le paysage, les choses. Bien sûr il y a un peu de cela un peu partout, mais la tendance ethnographique, anthropologique, c'est à dire para ou pseudo-scientifique, para ou pseudo-sociale domine de part en part. Le documentaire de création que j'appelle de mes vœux a une part encore trop réduite. Bien sûr, il y a certains cinéastes qui arrivent à concilier tout, à contenter moi et les autres, comme Alexandre Sokourov, avec son film sur deux vieilles femmes au Kurdistan irakien, ou Robert Greene avec son portrait intimiste d'une adolescente en Alabama…
Par ailleurs il y a cette obsession du récit, qui ne fait pas que du bien. A mon avis de nombreux cinéastes se trompent. Ils prennent le cinéma pour un art du temps, alors qu'à mon sens c'est ou ça devrait être un art de l'espace. C'est ce que je me suis dit en regardant un court métrage d'un cinéaste que par ailleurs j'estime, José-Luis Guérin. Répondant à une commande d'un musée sur la peinture, il a réalisé des "lettres filmées" à une conservatrice. Evoquant la peinture classique comme il peut, par toutes sortes d'analogies, il parle des toiles sous l'angle exclusif du récit. C'est à dire qu'il ne voit dans ces œuvres que des histoires, des personnages. Exit, la couleur (ses docus sont en noir et blanc !), la forme, la lumière, et même la profondeur. Ce qui est représenté physiquement, les différents plans à l'intérieur d'un tableau, passent à la trappe. C'est un peu le même problème qu'avec les documentaires moyens. On veut raconter une histoire coûte que coûte, quitte à oublier où on est, qui on est, qui on filme, d'où on filme, comment. Quelle est la texture de l'image, quelle est la couleur… A la limite on n'attend pas patiemment qu'il se passe quelque chose en restant à l'affût, mais on va au devant des événements, quitte à les provoquer, directement ou indirectement, pour alimenter son film… Le cinéma actuel manque de regard(s). On ne regarde plus, on montre, on démontre, on raconte.

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